Jokin Etcheverria

Jokin Etcheverria

"Le cinéma ce n'est pas que produire des films, il y a bien d'autres choses en jeu"

  • LaukitikAt
  • 29/03/2021
  • Langue : Basque

Jokin Etcheverria (Saint-Jean-de-Luz, 1978) connaît bien les deux côtés de la caméra. Celui que beaucoup de téléspectateurs ont connu derrière ses lunettes de globetrotter sur Euskal Telebista s’intéresse maintenant à la production audiovisuelle. Le petit-fils de pêcheur nous parle de son parcours, de sa « Fidèle Production » et du cinéma au Pays Basque.

De la vente de t-shirts à l'industrie du cinéma. Résumons d'abord votre parcours professionnel.

J'ai commencé à travailler dans la production audiovisuelle il y a une quinzaine d'années environ. Avant cela, avec ma très bonne amie Maiana Agorrody nous avons créé la marque de vêtements Myjok, nous vendions des t-shirts, ... Nous nous sommes ensuite installés à Bilbao en 2006 et c'est à ce moment-là que nous avons fait une première vidéo intitulée Burp (Basque Underground Report), en partenariat avec l'Institut culturel basque. La vidéo est ensuite devenue une émission de télévision. Pendant deux ans, tous les vendredis, nous présentions l'émission Burp d’une durée de vingt-six minutes avec un rythme de travail de fou. En parallèle, j'ai aussi présenté le programme Chiloé aux quatre coins du Monde. Je dirais que cette époque a été comme une formation intense dans l'audiovisuel, car avant ça, j'avais suivi des études de commerce et j'avais fait une école de théâtre à Bordeaux. En marge de la télévision, j'ai aussi présenté des émissions de radio sur France Bleu Pays Basque. Enfin j'ai créé « La Fidèle Production » il y a quatre ans de cela. À ce jour nous avons quatre films dans notre catalogue et nous travaillons actuellement sur de nouveaux projets. 

Vidéo de l'entretien (en basque)

En quoi consiste l'activité de « La Fidèle Production » ?

Le projet de « La Fidèle » est de constituer un catalogue de productions audiovisuelles. Nous souhaitons promouvoir le cinéma et par conséquent garder une partie des droits et des titres de propriétés que cela génère ici, au Pays Basque nord. C'est le travail d'un producteur, et pour obtenir ce résultat, il faut faire des films au Pays Basque, en collaborant avec des réalisateurs ou d'autres maisons de productions locaux.

Il y a différentes façons de participer à la production d'un film ; on peut aider au financement du film, au niveau de la logistique, … Pour Akelarre par exemple, nous avons participé financièrement au projet, nous avons aussi fait participer des professionnels dans les équipes de tournages du film, pour les prises de sons, de vues, nous avons organisé des castings, et nous allons aider à la distribution du film en France en collaboration avec Dulac Distribution. Notre travail consiste à promouvoir le film pour qu'il trouve son public en Iparralde et en France. Il faut souligner qu'il a remporté cinq Goya à Madrid et qu’il a aussi été sélectionné à Cannes ou au Zinemaldia de Donostia en 2020, même si la Covid a malheureusement conditionné ces événements. Le directeur Pablo Agüero a aussi remporté un prix décerné par Arte pour le scénario d'Akelarre. Bien sûr, le succès commercial du film est très important pour toute l'équipe. Mais pour l'heure, crise sanitaire oblige, nous attendons encore l'ouverture des cinémas pour pouvoir le présenter en Iparralde.

© LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
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Quelles sont les retombées pour Akelarre après la victoire de cinq Goya à Madrid ?

Avoir les cinémas fermés si longtemps est très négatif, particulièrement pour la distribution des films.

Il est évident que ce genre de prix ou la participation à des Festivals Internationaux conditionnent totalement le succès d'un film. Beaucoup de professionnels sont présents à ces rendez-vous et c'est là que la qualité d'un film est jugée, et par conséquent son succès ou le nombre d'entrées qu'il fera. Le fait de pouvoir montrer ces prix sur notre site Internet apporte aussi sans aucun doute un certain prestige à « La Fidèle ».

Le cinéma basque rencontre beaucoup de succès ces dernières années. Comment expliquez-vous cet élan ?

Il est vrai que les choses bougent dans le bon sens depuis un certain temps et je dirais que c'est lié à la simple mais ô combien cruciale question du financement des projets cinématographiques. Le Gouvernement de la Communauté Autonome Basque a fait de gros efforts pour promouvoir le cinéma basque. La télévision publique ETB et d'autres plateformes montrent aussi leur intérêt pour le cinéma produit ici. Par conséquent, on trouve les financements et on peut produire des films. En créant « La Fidèle », je voulais dynamiser le développement de projets audiovisuels en Iparralde. Ici, la réalité n'est pas facile, il y certes quelques outils au niveau de la Région Nouvelle-Aquitaine, mais il reste beaucoup de choses à faire.

© LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
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Combien de temps faut-il pour faire un film ?  

Il faut d'abord écrire le scénario, et c'est une étape qui est très longue, qui peut se prolonger parfois trois, quatre ans ou plus, en tous les cas c'est ce que j'ai pu constater. Il faut savoir que des fois il peut y avoir jusqu'à vingt versions d'une même histoire avant que le film ne démarre vraiment. Faire un film, c'est comme créer sa boîte, et ça ne se fait pas en quelques jours.

Comment se porte l'industrie cinématographique au Pays Basque ?  

Nous vivons dans un territoire où se croisent beaucoup de cultures, c'est ce qui donne à notre pays sa force et sa richesse.

La situation est assez différente selon les trois territoires Euskadi, Navarre et Iparralde. De par sa composition, avec un gouvernement, une télévision publique et d'autres structures qui lui sont propres, la Communauté Autonome Basque possède une réelle économie pour promouvoir le cinéma. Ici, en Iparralde, malheureusement, les institutions n'ont pas d'argent pour les productions, il nous faut donc trouver des moyens ailleurs, comme des fonds privés ou d'autres types de participations. Malgré tout, on dirait que quelque chose commence à évoluer ici aussi et on espère que cela bouge assez rapidement. Il faut savoir que beaucoup de séries ou de films sont tournés ici, majoritairement en français, mais ces productions n'apportent rien à l'industrie locale et rien n'est fait pour encadrer tout ça. À ce jour, les initiatives comme « La Fidèle » sont toutes d'ordre privé et je trouve que notre activité est aussi d'ordre public. J’espère donc que l'on pourra travailler plus ici et ainsi prendre part à notre propre création cinématographique.

Pour moi, le cinéma ce n'est pas que produire des films, il y a bien d'autres choses en jeu, d'ordre économique, culturel, artistique. En tant que peuple, il est temps de promouvoir tout cela, pour raconter nous-même notre histoire, et être maître de notre avenir. Je pense que le cinéma est un bon outil pour arriver à cela et c'est pour cela qu'il est important de le soutenir et pas seulement en Euskadi mais aussi en Navarre et ici en Iparralde.

© LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
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Où « fait »-on le cinéma au Pays Basque ?

On peut dire qu'il y a différents pôles. En Guipuzcoa, il y a des studios, des plateaux de tournages importants à Saint Sébastien, à Oiartzun. À Bilbao, on fait beaucoup de post-productions et on commence aussi à beaucoup parler de Vitoria-Gasteiz. De façon générale, l'industrie du cinéma est en plein essor en Euskadi, mais cela ne s'est pas fait en deux jours, cette dynamique a démarré il y a une quarantaine d'années environ. Le label Basque Audiovisual se développe de plus en plus et on voit les fruits de ce travail ces dernières années. J'ai moi aussi intégré ce label avec d'autres producteurs et on assure ainsi la présence de l'audiovisuel basque sur les marchés internationaux. Je pense qu'il est important de participer à ce genre d'action pour développer notre industrie audiovisuelle.

Comment se passe le travail transfrontalier dans l'industrie du cinéma ?

Le cinéma ce n'est pas que produire des films, il y a bien d'autres choses en jeu ; en tant que peuple, il est temps de promouvoir tout cela, pour raconter nous-même notre histoire.

En ce qui me concerne, je vis ces relations très naturellement ; j'ai habité à Bilbao pendant une dizaine d'années, j'ai un petit bureau situé à Tabakalera à Donostia, je bouge donc beaucoup des deux côtés. Pour moi, les frontières sont mentales mais je constate malheureusement que ce n'est pas la philosophie de tout le monde, tant au nord qu'au sud du pays. Mais on arrive malgré tout à faire des choses, on arrive à créer des contenus en langue basque, mais aussi en espagnol ou en français, et pourquoi pas en anglais. Nous vivons dans un territoire où se croisent beaucoup de cultures, c'est ce qui donne à notre pays sa force et sa richesse ; il m'est donc naturel de le vivre ainsi. Et je donnerais bien un conseil à ceux qui ne voient pas les choses ainsi, je leur dirais de bouger plus et de bouger différemment. Ils auront ainsi une vie beaucoup plus amusante. Mais pour cela bien sûr ils doivent commencer à apprendre le basque.

© LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
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Vous avez participé à des émissions de télévision, de radio et aussi à des séries sur le web.

La télévision est un monde à part, en lien avec la création mais assez éloigné du cinéma, même si les deux utilisent les mêmes outils pour créer. À la télévision, il faut aller vite, produire à un rythme effréné et une belle place est laissée à l'improvisation, cela me plaît bien aussi. Sur Internet on a aussi proposé une web série intitulée Punto koma ; c'est une fiction, qui a d'abord été proposée sur le site eitb.eus, puis sur ETB et que l'on peut maintenant trouver sur diverses plateformes internationales. En fait cela reste une série mais adaptée pour le web, pour être vue sur différents types d'écrans.

Que pensez-vous du patrimoine immatériel ?

Il y a de grands artistes en Iparralde, souvent inconnus, et je crois qu'il faudrait leur donner de la visibilité.

Je crois qu'il est très important de promouvoir le patrimoine immatériel et tout particulièrement sur la côte si l'on tient compte que c'est là, entre Bayonne et Hendaye, que la grande majorité de la population vit. Je crois qu'il faudrait plus montrer notre patrimoine en lien avec la mer car de nos jours, on a la sensation de vivre ici au paradis des surfeurs ou dans une sorte de nouveau Monte-Carlo, et on oublie vite les activités en lien étroit avec la mer et la pêche que nos ancêtres avaient. Mon grand-père était marin pêcheur à Socoa et il me semble important de montrer à notre génération, mais aussi de façon générale, le mode de vie des générations passées afin de nous rappeler notre propre histoire. Aujourd'hui il est vrai que le tourisme est très présent et fait partie de l’histoire de la côte labourdine, mais il est bon de rappeler que notre histoire ne se résume pas uniquement à cela.

Comment traversez-vous cette crise Covid ?

Cette crise m'a permis d'utiliser mon temps différemment, et cela a été positif pour moi, j'ai eu le temps pour réfléchir, pour faire avancer mes projets, pour passer du temps en famille et ne pas me concentrer exclusivement sur mon travail.

En ce qui concerne notre activité, on peut dire que le fait de voir les salles de cinéma fermées durant une si longue période a des effets très négatifs, particulièrement pour la distribution des films. En ce mois de mars 2021, il y a plus de 400 films qui ne sont pas sortis à la date prévue en France, et on sait déjà que leur sortie ne se fera pas dans de bonnes conditions. Donc oui, on peut dire que la fermeture des salles de cinéma est un véritable problème pour nous.

© LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
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Quel est le secret pour faire un bon film ?

Je ne crois pas qu'il y ait un secret en particulier, mais je crois qu'il y a un facteur élémentaire, c'est celui de croire à fond en son projet. Si on y croit, on donne tout pour arriver au bout du projet. En tant que producteur, je dois d'abord croire à mes projets mais je ne pense pas que cela s'applique exclusivement au cinéma.

Il y a-t-il une histoire que vous aimeriez raconter en image ?

Il est important de montrer le mode de vie des générations passées afin de nous rappeler notre propre histoire.

Nous sommes actuellement en cours de création d'un projet qui me tient à cœur. Il s'agit d'une série qui se déroule dans un pays inconnu où vont se mêler le monde des journalistes et la marihuana. On a commencé à écrire et à partager ce projet il y a un an environ et on espère bien qu'il verra le jour rapidement.

Comment passez-vous votre temps en dehors des salles obscures ?

En dehors du travail, je mène une vie très tranquille. Je vis dans un endroit fantastique, à Socoa, et j'aime partager du temps avec mes amis, marcher, ... J'ai mes habitudes au bar Bittor de Ciboure, mais en ce moment, on est privé de sorties, de fêtes, de concerts, … Je profite de cette époque pour me balader au Pays Basque, sans avoir un hobby en particulier.

© LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
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Avec qui aimeriez-vous faire un film ?

J'ai eu l'occasion d'interviewer beaucoup de monde dans l'émission Basque Connexion sur France Bleu Pays Basque. J'ai rencontré des personnes très intéressantes et parmi toutes celles qui sont restées dans ma mémoire, je retiendrais le photographe Jacques Pavlovsky. J'ai eu l'occasion de voir ses clichés pris au Vietnam, ou des portraits de personnalités de ce monde, et je travaillerais bien avec lui par exemple. Je pense qu'il y a de grands artistes en Iparralde, souvent inconnus, et je crois qu'il faudrait leur donner de la visibilité.

Voulez-vous rajouter quelque chose ?

Non je crois que j'ai tout dit.

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