Odei Barroso

Odei Barroso

"Lors du championnat, j’ai pris une claque, mais aussi une leçon"

  • ICB - Xan Aire
  • 10-01-2014
  • Langue : Basque

Odei Barroso (1987, Urrugne, Labourd) est un bertsulari désormais connu. Il est aussi professeur de bertsu, ainsi que membre du groupe de rap 2zio. Le vice-champion d’Iparralde a participé au championnat général des bertsularis, compétition dans laquelle il a atteint le premier tour des demi-finales. Il mène, parmi d’autres projets, une résidence artistique au Jardin botanique de St-Jean-de-Luz jusqu’à l’automne 2014.

Quel champion vous semble être Amets Arzallus ?

Un grand champion ! Les huit finalistes sont capables de gérer le poids du titre durant les quatre années qui vont suivre, et je dirais qu’Amets est assez grand, comme bertsulari, pour supporter cela. La txapela a encore coiffé la bonne tête.

En quoi est-il grand ?

Je ne veux pas donner au bertsu une dimension qu’il n’a pas. Mais dans son domaine, le chemin effectué par Amets est celui d’une personne, d’un être qui est grand. Il a remporté à seize ans la txapela de Navarre, et le chemin qu’il a parcouru depuis me paraît incroyable. Je lui vois beaucoup de talent : il a beaucoup travaillé, mais à partir d’un certain niveau, il se passe quelque chose d’autre, pour se connecter avec les gens, pour aborder les sujets imposés. Pour cela, Amets a fait preuve de maturité.

Au vu de la finale, il n’y a aucun doute : Amets est champion ?

Il me semble qu’il a effectué une sacrée performance. La partie du matin a été fabuleuse. Il a sorti quelque chose de particulier lors de chaque épreuve, ce qui est très difficile à réaliser. Puis, même s’il peut y avoir quelque doute, il me semble que pour les gens, c’était globalement très clair. Même si, lors du face-à-face de l’après-midi, j’ai vu Maialen Lujanbio et Amets comme deux bertsularis fantastiques, de très haut niveau, et pas l’un meilleur que l’autre : deux bertsularis différents. La profondeur de Maialen, sa capacité à improviser de la poésie, et Amets, si élégant, si direct.

Quelques spectateurs disaient qu’Amets a été très bon, mais plutôt "bateau"...

Il ne m’a pas semblé si "bateau". Amets fait parvenir ses messages directement. Toutes les gens le comprennent, c’est un bertsulari qui parvient à toucher la majorité du public. Il a une grande capacité de communication, et les spectateurs aiment ressentir le bertsu, s’identifier dans ce qu’ils viennent d’entendre.

Les sujets donnés menaient aussi vers l’émotion, la tragédie...

Oui, les sujets ont été critiqués, mais nous aussi, les bertsularis, avons tendance à être pragmatiques... Ce n’est pas forcément quelque chose que nous souhaitons, mais il est plus facile d’aborder les gens avec quelque chose de touchant. Ce n’est pas toujours notre premier choix, mais quelque fois, je ne trouve pas d’autre accroche à un sujet, et je vais y recourir. Néanmoins, il est vrai que les sujets peuvent être orientés : le sujet dit de prendre ce chemin. Et si on ne va pas entre les bornes du sujet, on doit réaliser une sacrée performance pour que le bertsu soit bon. Ce n’est pas donné à tout le monde. Ou bien les gens ne comprennent pas, ou bien on est contre leur avis, et ce n’est pas une posture facile. C’est ce qui m’est arrivé lors de la séance d’Oiartzun : lors de ce championnat, c’est là que j’ai personnellement subi le plus gros coup.

Avez-vous vécu votre propre parcours telle une tragédie ?

(Rires) Non, non ! Lors du championnat, j’ai pris une claque, mais aussi une leçon. J’ai eu deux séances, et j’étais en colère contre moi-même. Je n’ai pas pu réaliser ce que je voulais, je me suis perdu en chemin.

Que vouliez-vous réaliser ?

Tracer mon propre chemin. Aborder les sujets de ma propre manière ; lorsque les gens reçoivent mon bertsu, qu’ils ressentent une différence. Pas parce qu’il est meilleur, mais à moi. Normalement, c’est ce que nous, bertsularis, souhaitons tous. Moi aussi, je souhaitais laisser mon sceau, et non pas des bertsus que peuvent chanter quarante bertsularis.

Certains ont trouvé que vous n’avez pas assez pris de risque. Qu’est-ce que cela veut dire, dans les bertsus ?

Chacun le voit à sa manière... Comme l’a récemment dit Amets, il semblerait que prendre des risques signifie choisir des mélodies longues lors de performances individuelles ; alors qu’en réalité, le risque consiste à opter pour des mélodies courtes, et d’y apposer un fond. Dans mon cas, il me semble que j’ai pris des risques, mais pas fait les bons choix. Par exemple, j’ai tenté une nouvelle mélodie : ce n’est pas forcément un risque, mais pas un avantage non plus, puisque les spectateurs essaient, lors du premier bertsu, d’intérioriser la mélodie, de débusquer la mesure et les rimes, de comprendre les paroles... J’ai préféré une mélodie étroite, et on m’a dit que j’avais trop pris de risques. C’était un pari personnel, qui n’a pas payé. Après en avoir eu discuté avec les proches, j’ai constaté que j’ai voulu trop faire “quelque chose d’autre”, et que je n’y suis pas parvenu.

Quel est votre objectif, à l’avenir ?

De suivre mon propre chemin. Qui aime, me suive. Le bertsulari doit préserver sa propre identité. Je recherche la singularité.

Amets étant désormais champion, cela signifie-t-il qu’il ne sera pas du prochain championnat du Pays Basque nord ?

Non, c’est à lui de choisir, tout comme Sustrai Colina. Mais je ne sais pas si un champion du Pays Basque a déjà chanté lors du championnat provincial suivant. Normalement, on n’y risque pas son titre. Moi, je voudrais qu’ils en soient, mais nous devrons respecter leur choix, quel qu’il soit.

S’ils ne sont pas partants, vous êtes le prochain champion d’Iparralde...

Non, non ! Les prétendants ne manquent pas ! Et je n’ai pas la tête à cela.

Que signifie, pour le bertsularisme, de remplir un lieu immense comme le BEC, et de laisser des spectateurs sans place ?

Cela veut dire beaucoup de choses. A mon avis, il y a quelque chose de plus que le bertsu. Le besoin d’une agréable journée, pour nous, euskaldun, et pour la langue basque : c’est très important qu’un événement en euskara réunisse autant de monde. Et lors de cette journée, tout le monde en est conscient, même les bertsularis. Puis il y a le championnat. Nous aimons la compétition. Cela attire du monde, que l’on le veuille ou non !

Et la médiatisation ?

Cette fois-ci, concernant la médiatisation, le pari était moindre. La priorité était d’être plus humble. Ce fut le contraire en 2009, avec une immense campagne ! Cela avait créé une énorme vague de spectateurs, et il me semble nous pouvons désormais nous contenter de son écume. Après la communication simple de cette année, il me semble qu’il ne faut plus de campagne énorme. Suite au championnat général de 2009, on suivit le même chemin pour celui du Guipuzcoa : du marketing. En tant que bertsulari et passionné, cela ne m’avait guère plu. Lors de la finale, 9 000 spectateurs étaient présents, certes, mais on n’avait pu assister à la séance dans de bonnes conditions : les gens allaient et venaient, on n’entendait pas les sujets donnés. On avait assuré la forme, mais perdu le fond. Le bertsularisme a toujours transmis ce qu’il était par la simplicité.

Puisque nous évoquons les différentes formes de perceptions, est-il encore possible, dans le public, que chacun interprète à sa manière un bertsu ?

C’est ce que réussit Maialen Lujanbio. Elle l’a aussi réalisé en finale, et c’est pour cela que je l’admire. Lors de ses bertsu, la place n’exulte pas. Il faut peut-être plus de temps pour que le public saisisse son bertsu. C’est un pari de Maialen, qui peut s’avérer payant, ou non. Mais il me semble que les bertsus qui ont fait le plus réfléchir la place sont les siens. C’est elle qui, à travers ce chemin, est parvenue le plus loin.

Vu de l’extérieur, il semble que vous réussissez plus à être “vous-même” dans le rap, plutôt que dans les bertsus...

L’avantage du rap, c’est d’être direct, et écrit. On a plus de temps pour donner son avis, choisir ses mots. Lors des bertsus, on improvise, et le sort en est jeté. Il me semble que c’est plus une histoire de capacité, dans mon cas. Je ne suis peut-être pas assez adroit pour faire passer les sujets depuis mon propre filtre. Mais je constate aussi qu’au moment de relire les premières chansons de 2zio, je ne les écrirais plus ainsi aujourd’hui. Je les ai créées à 18 ans, et je vois désormais les choses différemment. Je veux dire par là que même lorsque j’écris des bertsus, il ne s’agit pas d’un autre Odei : c’est celui du rap.

Mais il y a aussi une histoire d’être politiquement correct...

Que l’on ne retrouve pas dans 2zio, n’est-ce pas ? Mais dans les bertsus, si j’étais capable de lancer une provocation de manière adéquate, je le ferais ! C’est ce qui m’est arrivé à Oiartzun. Nous avons eu un sujet sur le système de recyclage, le porte-à-porte, qui s’est traduit comme un poids auprès du public : “quoi, encore ce sujet...”. Je suis le premier à soutenir le porte-à-porte, ainsi que les nouveaux modes de recyclage écologique, mais ce jour-là, j’ai abordé le sujet d’une autre manière. Et cela ne m’a apporté ni applaudissements, ni points. J’ai choisi le chemin de l’ironie, et cela n’est pas bien passé.

Etes-vous sûr que vous n’avez pas réussi, ou qu’il n’y a pas de place pour cela en championnat ?

Il y a de la place, mais si on le fait très bien. Lorsque l’on est plus tragique, ou plus politiquement correct, les gens sont d’accord avec vous. Mais si l’on va contre l’opinion générale du public, si on ne soigne pas son bertsu, il ne va pas le valider.

Mais de là à ne pas donner de points...

Les juges sont aussi des personnes, et leur opinion peut avoir une influence, qu’on le veuille ou non. Et si le bertsu ne plaît pas à la place, cela peut être un signal quant aux points. Je ne veux pas dire que l’ambiance influe sur les points. Il faut voir les choses globalement : on sait que, pour se coiffer de la txapela du Pays Basque, il faut être très bon dans les bertsus, que le champion doit souhaiter être champion, et que le public aussi doit désirer que ce bertsulari soit champion. Si treize mille personnes ne ressentent pas le bertsulari là, avec eux, il n’en sortira pas champion.

Même s’il réussit une performance incroyable ?Mais s’il fait une grande performance, les gens seront avec lui...

Ce n’est pas dit : il faut voir ce qui est arrivé à Xalbador, en 1967...Oui, d’accord, mais c’était peut-être une autre époque. Quoi qu’il en soit, nous devons être conscients de ce qu’est le championnat. Je ne suis pas en train de dire que mon travail méritait plus de points, mais nous savons ce que sont les clés du championnat. Nous y allons en sachant et acceptant certaines choses.

Sinon, vous n’y chanteriez pas...

C’est cela. Moi je chante en championnat en acceptant tout cela, comme tous les autres bertsulari qui y sont présents.

Est-ce que vous vous voyez renoncer au championnat ?

Un jour, peut-être, je ne sais pas. Je pense encore continuer. Le championnat aide beaucoup le bertsulari. Je sais que sans cela, je ne me centrerais pas autant sur le bertsu. Cela me donne un écho, l’occasion de m’améliorer et d’apprendre. Mais j’avance doucement, dans le bertsu comme dans le rap. Il y a eu une époque où il était assez pesant d’avoir beaucoup de séances, en plus du travail, en plus de beaucoup de choses. J’espère apprendre à gérer tout cela.

Comment placez-vous votre métier de professeur de bertsu, au sein de ce paradigme artistique ?

Beaucoup me disent que je passe la semaine immergé dans le bertsu, mais apprendre à faire un couplet et en créer un, cela n’a rien à voir. Il s’agit de deux domaines : l’enseignement et la création. Je me sens très à l’aise dans l’enseignement, puisque j’y aborde beaucoup de choses en dehors des bertsus.

L’enseignement et la création se complètent-elles ?

Pas nécessairement. Durant une époque, j’ai souffert de cela. Je dois toujours me déconnecter du travail pour chanter un vendredi soir, par exemple. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas qu’un métier enlève quelque chose à la création, même si certains sont persuadés du contraire.

Et le fait d’être médiatisé a-t-il une influence auprès de vos élèves ?

Les enfants vous voient, vous écoutent, mais ont la même personne à la télévision ou en classe. Je crois que cela aussi est intéressant pour les élèves. En apparaissant dans les médias, nous sommes en même temps une sorte de référent, et les enfants y puisent quelque chose. Mais en classe aussi, nous sommes capables de transmettre quelque chose. Nous le devons : c’est ce qui est le plus durable.

Les écoles de bertsularis ont récemment connu un sacré développement. Souhaitez-vous apporter quelque chose d’autre à l’euskara, aux enfants, en plus du bertsu ?

Nous allons plus loin d’abord, et le bertsu ne parvient qu’ensuite. Nous travaillons le bertsu, certes, mais il peut arriver que les élèves passent trois semaines sans créer de bertsu dans notre école. Nous effectuons des jeux, ou une chanson de rap... Par le biais de l’euskara, nous touchons d’autres domaines. L’école de bertsu, à partir de 16h30, propose quelque chose uniquement en langue basque, et cela reste le plus important. Ce n’est pas à nous de dire s’ils sortiront ou non bertsulari, et heureusement : c’est un jeu autour de l’euskara. Et dans cet environnement, les enfants parlent naturellement basque. Nous ne voulons pas fabriquer de bertsularis-robots.

Vous intervenez aussi au sein des ikastolas... Qu’apporte le bertsularisme à l’ambiance de l’école ?

Il se passe des choses curieuses : les mêmes enfants parleront basque avec nous, puis en français à la récréation. Il est clair qu’ils font une distinction entre les différents espaces, les personnes. Précisément, notre travail est de rendre plus floues ces frontières spatiales. C’est aussi pour cela que nous suivons le projet d’éducation de Seaska, Orekaz. Les enfants aiment jouer avec les mots, et c’est cela que nous aimerions apporter en dehors de la classe. Mais il faut d’abord créer une dynamique relationnelle en euskara, pour que les enfants jouent ensuite avec les mots. Si les conditions me le permettent, j’essaie de réaliser un cours de bertsu sur quatre hors de la salle de classe.

Vous aussi, vous évoluez récemment en extérieur, à travers le jardin botanique de Saint-Jean-de-Luz...

Oui, comme le travail est divisé selon les saisons, je me rends trois fois par saison au jardin Paul Jovet. Je prends de quoi écrire, et les lieux, le temps, le moment m’inspirent. Je ne dois pas forcément écrire sur le jardin : je suis libre, je peux même évoquer la politique. Pour l’instant, je n’ai vécu que l’automne, mais je suis persuadé que je n’écrirai pas de la même manière en hiver ou en été. Il y a des bertsu, des poèmes, de la prose. J’aimerais aussi inviter les jeunes de l’école de bertsu de Saint-Jean-de-Luz, pour créer quelque chose ensemble. Pour moi aussi, ce sera une autre leçon, comme toutes les choses que je vis.

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