Zoe Bray

Zoe Bray

"L'art et l'anthropologie sont des outils complémentaires pour vivre et réfléchir à la vie"

  • LAUKITIKAT
  • 2023-01-23
  • Langue : Basque

C'est en parcourant le globe avec ses parents que Zoe Bray (Paris, France - 1974) a voulu comprendre le fonctionnement des sociétés. Polyglotte et curieuse, l’euskaraet le Pays Basque occupent une place particulière dans sa vie. Depuis sa participation à la résidence d'écrivain à Nekatoenea à Hendaye, elle a rajouté un stylo sur sa table de travail, à proximité des pinceaux et des livres académiques; le kit parfait pour pouvoir raconter des histoires et partager ses réflexions.

Vous êtes artiste et anthropologue. Vous réussissez à croiser création et sciences ?
Le contexte d'une œuvre d'art est un élément essentiel de son existence. Je me pose des questions sur pourquoi je l'ai créé, à quoi elle sert, pourquoi je l’ai faite avec certains matériaux et pas avec d'autres, quelle est son importance, pour qui je l’ai crée. Avant d'étudier l'art, j'ai étudié l'anthropologie, donc celle-ci s'immisce dans mon travail artistique. En tant qu'anthropologue et artiste, je m’intéresse à l'identité : Comment nous, êtres humains, donnons-nous du sens à notre vie et quelle est notre relation à notre environnement ?

Racontez-nous votre trajectoire.
Mon père est Anglais et ma mère est de Basse-Navarre. Ils ont vécus dans différents pays européens grâce à la profession de mon père qui était journaliste. Mon frère est né à Londres, moi je suis née à Paris, et ma sœur à Rome. Tous les trois ans environ, nous déménagions dans une autre capitale, Bruxelles, Madrid... Et il nous était naturel d'apprendre la langue locale et de nous adapter à notre nouveau contexte. J'ai donc pris l'habitude de jongler avec les langues, en passant d’une langue à l'autre.

Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)

Ma mère (Josette Dacosta), a travaillé dans l'éducation artistique et est aussi artiste. Elle fait de grands tableaux abstraits très puissants. J'ai beaucoup appris en regardant son travail.

Je suppose que j'ai choisi l'anthropologie parce que j'ai grandi dans tous ces pays.

J'ai commencé à voyager seule lorsque j’avais 18 ans. J'ai travaillé au Méxique et de là je suis allée faire la connaissance de cousins basques en Californie. Puis je me suis installée à Édimbourg où j'ai étudié l'anthropologie. Partout, j'aimais découvrir l’art. Mais au moment de choisir quoi étudier à l'université, j'avais envie d’acquérir des compétences analytiques pour comprendre la société humaine. Je suppose que j'ai choisi l'anthropologie sociale parce que j'ai grandi dans tous ces endroits différents. Je voulais m’équiper d’outils intellectuels pour comprendre la culture, les relations sociales...et toutes ces choses qui guident la perception et le comportement humains.

Depuis mon enfance, je voulais apprendre le basque. Je passais mes vacances dans l’Oztibarre et je me rappelle ma grand-mère qui parlait en basque avec ses voisins mais qui passait au français dès qu’on était là. C'est à l'université que j'ai eu l'occasion de me concentrer sur l’euskara. Je préparais une thèse sur la politique linguistique dans l’éducation et j’ai eu l’occasion de rester plus de temps au Pays basque. Je crois que c'est alors que j'ai pris conscience de mon identité basque.

Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)

J'ai ensuite obtenu une bourse à l'Institut universitaire européen de Florence, pour étudier le fonctionnement des communautés linguistiques minoritaires dans les zone frontalières – c’était la fin des années 1990, quand on parlait de faire entrer de nouveaux membres à l'Union européenne. C'est ainsi que je suis retournée au Pays basque pour faire encore des recherches.

L'expérience m'a montré que l'art peut changer la vie des gens et construire des ponts.

Par ailleurs, je continuais à dessiner, en privé. Mais à Florence, je crois que mon côté artistique s’est révélé. Je suis tombée sur une école de peinture installée dans une église désacralisée et je m’y suis inscrite. Donc, pendant que je faisais mon doctorat, j’étudiais pour être peintre. Il y avait des modèles qui posaient pour nous six heures par jour ! À l’époque, pour couvrir mes frais, je travaillais aussi pour l’école à faire le ménage, poser comme modèle, secrétariat... Plus tard, j’ai loué un atelier avec d'autres peintres où je peignais tout en travaillant à temps partiel comme chercheuse à l'Institut européen. Pendant quelques années, j'ai eu une vie un peu bohème. Puis je suis allée à Londres et à Berlin où je vivais de commandes.

Enfin, en 2011, j'ai quitté l'Europe pour aller travailler à l'Université de Reno, au Nevada, enseigner au Center for Basque Studies. Le Nevada était pour moi une terre nouvelle, même si, il y a cent ans, le père de ma grand-mère y avait été berger !

Au bout de quatre ans, j'ai quitté ce poste pour travailler avec mon époux à l'Université hébraïque de Jérusalem en Israël. Avec ma petite famille, j'ai vécu trois ans et demi à Jérusalem. C'était une époque intense, avec la naissance de mon deuxième enfant, et moi qui était en relation avec les activistes israéliens et palestiniens. Un des moments mémorables fut celui passé avec les bergers bédouins et palestiniens dans les belles collines de Cisjordanie, des lieux menacés par les colons israéliens. J'ai été témoin de nombreux incidents de violence. Grâce à l'art, j'ai pu connecter avec des sections différentes de la population locale, au-delà des divisions religieuses, ethniques et politiques. L'expérience m'a confirmé comment l'art peut construire des ponts. L’art est une source de jouissance, de libération et de méditation qui peut être un moyen de communication. Enfin, en 2018, avec ma famille, nous avons décidé de retourner au Nevada, lieu que nous considérons désormais comme chez nous.

L'art et l'anthropologie sont-ils complémentaires ?

Pour moi, l'art et l'anthropologie sont liés et complémentaires : c’est s'immerger dans la vie et réfléchir sur elle. La question de la représentation, de savoir ce que nous imaginons – qui, comment et avec quel but - est fondamentale aussi bien dans l’anthropologie que dans l’art. Il faut déconstruire comment l’être humain voit le monde et le définit, et chacune de ces deux disciplines informe l'autre.

Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
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Aujourd'hui, je travaille principalement en tant qu'artiste. J'enseigne et je pratique l'art avec une pensée anthropologique. Par ma pratique artistique, je cherche un lien direct avec les gens. Les actions devant un public sont donc une partie importante de mon travail. J'aime peindre en public pour que les gens puissent participer au processus. Peindre en public, c'est faire sortir l'art de l'environnement exclusif de l’atelier. On m'invite à peindre dans des musées et dans d’autres lieux publics. Je l'ai fait surtout aux États-Unis, pas encore au Pays Basque !

En peinture, vous êtes avant tout portraitiste ?

Sans aucun doute, je suis surtout portraitiste car je me concentre sur les humains, comme en anthropologie. Le portrait permet de me centrer sur la personne, de lui parler, de passer du temps avec elle, de l'observer. Aujourd'hui, dans notre monde hyperactif, nous n’avons que rarement le temps pour une contemplation lente – ce qui est important aussi en anthropologie : il faut donner le temps pour mieux connaître et comprendre les choses. Par ailleurs, je suis un peu timide, et peindre des portraits m’aide à sortir de ma coquille.

Pour moi, l'art et l'anthropologie sont liés et complémentaires : travailler avec la vie, s'immerger et y réfléchir. 

Lorsqu’une personne  pose pendant un certain temps, le visage se détend et le sujet peut paraître sérieux dans le tableau! Mais ce n’est pas ce que fait la personne dans le moment qui m’intéresse, plutôt sa nature intérieure et son âme. Je pense aussi à la politique de la représentation, au pouvoir de la personne qui la peint (moi), mais aussi à l'agence du modèle, à l'implication du public et à ce que notre collaboration apporte au portrait. Le portrait confirme l'existence de la personne et provoque des conversations sur qui nous sommes.

Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)

Je peins aussi des paysages et des objets. Je cherche la beauté dans les choses ordinaires. Dans un contexte d'anthropomorphisation de notre environnement naturel, les paysages sont le reflet de notre relation avec la nature.

Le monde artistique du Pays basque est passionnant, je vois sa richesse et sa diversité, et celles-ci m'inspirent de loin. 

Ma formation artistique repose sur les techniques traditionnelles des beaux-arts, où les principales références sont inévitablement Léonard De Vinci, Artemisia Gentileschi etc. Je m'inspire de leur connaissance intime de la nature. Beaucoup de peintres contemporains m'inspirent aussi. J'admire l'audace de Paula Rego et sa façon de raconter des histoires à travers des tableaux figuratifs simples et dramatiques.

La peinture abstraite et la sculpture m'inspirent aussi. Comme j'essaie de mener une vie plus respectueuse de l’environnement, je travaille aussi beaucoup sur l'art écologique, c’est à dire à base de matières organiques, et sur la prise en conscience de l'environnement. Je m'inspire par exemple du travail d'Andy Goldsworthy. Je regarde aussi les peintures rupestres du paléolithique au Pays Basque et, ici au Nevada, les pétroglyphes des indigènes des temps passés.

J'ai aussi toujours fait de l’illustrations, mais je n'ai pas beaucoup publié, à l'exception de la parution régulière d’un dessin humoristique depuis une dizaine d'années dans l’hebdomadaire Herria. Je cherche à dessiner la vie avec humour. Mon sujet le plus cher est les enfants qui jouent dans la nature.

Que pensez-vous du milieu artistique au Pays Basque ?

Zer xuxurlatu didan Amatxik célèbre la nature et le savoir indigène. 

Le monde artistique du Pays basque est passionnant. Comme je travaille à l'étranger, je ne suis malheureusement pas aussi impliquée que je le souhaite. Mais je vois sa richesse et sa diversité, et celles-ci m'inspirent de loin. J'ai grandi avec les peintures figuratives du début du XXème siecle que je voyais dans différents lieux du Pays basque. J'étais frappée par la façon dont ces peintres voyaient et définissaient ce qui est basque. J'ai aussi aimé les représentations alternatives d'artistes comme Vicente Amestoy et Rosa Valverde. Et le point de vue et l'expérience féministe actuelle donnent enfin une image plus complète de ce qu'est le Pays basque. Le travail graphique m'inspire également.

Il faut aussi ajouter le mot écrivain sur votre fiche de présentation maintenant.

Jusqu'à récemment, mes seuls travaux écrits étaient universitaires et journalistiques. J'avais envie d'écrire des histoires depuis longtemps et le confinement imposé par le COVID m'en a donné l'opportunité. Pendant le confinement je cherchais à mener une vie quotidienne tranquille avec mes deux enfants, et c’est alors que m’est venu à l'esprit d’écrire mon premier conte, intitulé Zer xuxurlatu didan Amatxik (fr : Ce que grand-mère m’a sussuré). C’était un plaisir d'écrire en basque et c'était aussi une excellente façon de m’exercer dans cette langue, car ici, au Nevada, même si il y a quelques bascophones, nous ne nous voyons pas souvent. J'ai écrit l'histoire d'abord en anglais car c'est ma langue la plus forte. Puis j'ai demandé à mon ami Piarres Erdozaintzi de vérifier mon basque, qu’il soit fidèle aux expressions locales. Et  j'ai fait les illustrations au crayon et à l'aquarelle pour accompagner le texte.

Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
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Zer xuxurlatu didan Amatxik célèbre la nature et le savoir local. C'est aussi une façon de rappeler à mes enfants le lien qu'ils ont avec le Pays basque tout en vivant de l'autre côté de la planète. Je voulais souligner que la connexion à la Terre dépasse toute identification nationale. Dans l’Ouest Américain, l’habitude de consommer du plastique jetable et des produits alimentaires transformés, de se déplacer toujours en voiture et de regarder un écran est énorme. J'ai donc imaginé l'histoire d'un enfant qui explore et questionne sa communauté et entreprend des changements positifs.

L'appel lancé par l'ICB avec la Fondation Elkano m'a encouragé à me lancer de nouveau dans l’écriture. L’histoire d’Elkano m'a inspiré à refléchir sur ce que cela signifie d’être un enfant aujourd'hui, avec les connaissances scientifiques et globales que nous avons et la dégradation écologique. Mon histoire, June ta Mundua, aborde le thème de la présence basque dans le monde, caractérisée par l'identification indigène et la souveraineté, mais aussi par la complicité avec les forces capitalistes et colonialistes. L'histoire raconte la vie d'un enfant au Nevada, dans l'Ouest Américain, où de nombreux Basques ont émigré au cours des deux derniers siècles. June est Américaine - et aussi Basque, car elle s'identifie à sa grand-mère qui vit au Pays basque. Je veux que cette histoire soit le début d'une série dans laquelle les jeunes interagissent positivement avec leur environnement. Elle a une dimension écologique et philosophique : comment les enfants d'aujourd'hui donnent-ils un sens à leur existence dans le monde ? Comment voient-ils leur impact sur leur environnement ? Et quelle importance faut-il accorder à l'identité ? L'histoire soulève des questions existentielles, mais le plus important c'est qu'elle serve d’inspiration. 

Comme Elkano, vous aimez les voyages...

Pour moi, être Basque va de pair avec la connaissance et la préservation de l'environnement naturel, et aussi avec la justice sociale et économique. 

J'ai aimé voyager et vivre dans différentes parties du monde, mais je ne voyage plus autant. Je prends rarement un vol pour visiter un autre endroit du monde juste pour quelques semaines. Je suis consciente de mon empreinte carbone. Chaque fois que je peux, je prends le vélo. Je voyage plus par nécessité, particulièrement pour aller visiter la famille une fois par an en Europe. C’est important de sortir de sa zone de confort, mais je ne pense pas qu'il soit utile de voyager pour mieux comprendre le monde. Il me semble plus important de prendre des risques dans la vie quotidienne. Où que l’on soit, en portant un nouveau regard à nos alentours, on peut voir et sentir davantage.

Vous maintenez un lien fort avec le Pays Basque, même de l'autre côté de l'océan.

Mes parents vivent maintenant au Pays Basque, dans la maison familiale à Ostabat, donc grâce à eux, je peux dire que le Pays Basque est ma maison. Ils font toujours des choses intéressantes dans le milieu de l'art, par exemple avec l'association Itzal Aktiboa pour montrer les artistes locaux. Grâce à eux, j'ai découvert d’autres artistes étonnants.

Préserver le patrimoine immatériel est important pour vous ?

Les personnages de la mythologie basque m'inspirent.

Le patrimoine immatériel est indispensable, c'est la vie même ! Mais il ne faut pas oublier l'interconnexion des choses : il n’y a aucun doute que parler en basque et faire de la musique, du théâtre, de la danse ou de la littérature en basque est indispensable. Mais si pour cela, nous consommons, détruisons et polluons notre environnement, ça n'a aucun sens. Pour moi, être Basque va de pair avec la connaissance et la préservation de l'environnement naturel. Je crois que le sens fort de soi et du patrimoine est indissociable du contexte naturel dans lequel nous vivons.

Il vous reste du temps pour d'autres activités ?

J'aime être dehors et bouger. La randonnée, le vélo, le surf, me baigner dans une rivière, tout cela me donne liberté et tranquillité. Pour moi, il est important d'être active physiquement, et pas seulement dans la tête.

Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)
Zoe Bray © LaukitikAt (EKE | cc-by-sa-nc)

Les mouvements sociaux de base du Pays Basque m'inspirent beaucoup. Pour moi, il est clair qu'être Basque va de pair avec la défense de la justice sociale, économique et environnementale locale. J'admire particulièrement ce que fait Bizi !.

Quand je suis au Pays basque, je regrette de devoir utiliser autant la voiture. Si seulement il y avait plus de transports en commun. Et chaque fois que je reviens, ça me fait mal au cœur de voir encore d’autres d'arbres abattus et toujours plus d'asphalte.

Avez-vous un personnage basque qui vous intéresse particulièrement ?

Les personnages de la mythologie basque m'inspirent, ils restent toujours aujourd'hui importants dans notre vie, par exemple les Lamiak, comme esprits de la nature. Mon rêve, serai que n'importe où, les enfants aient la capacité de connaître leur environnement et de se connecter à leur âme naturelle.

Un rêve ?

Mon rêve personnel est d'améliorer mon euskara. J'espère un jour pouvoir passer du temps à apprendre le basque à AEK avec mes enfants. Et puis je voudrais écrire et illustrer davantage d’histoires qui racontent les aventures des enfants dans la nature !

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