La femme dans le bertsularisme

L'apparition en nombre de femmes dans les joutes et les compétitions est un phénomène récent, bien que quelques rares noms des siècles passés soient connus. Depuis 2009, le bertsulari sacré champion du Pays Basque est une femme.

Maddi Ane Txoperena - Finale du championnat Xilaba 2021 © Jakes Larre - EKE
Maddi Ane Txoperena - Finale du championnat Xilaba 2021 © Jakes Larre - EKE
Il y a toujours eu des femmes bertsularis, mais à l'image de l'iceberg, peu dans la lumière et beaucoup dans l'ombre, à cause des codes et des interdits.

Comme le souligne Koldo Mitxelena dans son livre l'"Histoire de la Littérature Basque""la tradition (des bertsularis) est ancienne et remonte au moins aux dames improvisatrices du XVème siècle". Ces femmes citées dans les documents du XVème sicle interprétaient des chants épiques. C'est à ce titre qu'elles furent réprimées et subirent l'interdiction de chanter par le For de Biscaye en 1452.

Bien qu'elles désertèrent le domaine public, elles continuèrent d'improviser en particulier dans le cercle familial. Certaines furent cependant connues pour leur prestation publiques.

Les femmes bertsularis d'Iparralde du XIXème siècle jusqu'aux années 1960

Toujours en nous référant au livre Neurtizlari, Bertsulari, Iparraldez de Beñat Soulé, jetons un coup d'oeil sur celles qui marquèrent l'histoire du bertsularisme à leur époque. On les compte sur les doigts d'une main, puisqu'elles sont au nombre de quatre ! Mari Luixa Erdozio (1846-1925), Mariana Hargain Etxepare (1860-1925), Mariana Etchegaray Baraziart surnommée "Aña debrua"  (1873-1939), et Bernadeta Borda Charriton (1959-...) plus connue sous le nom d'"Itxaro Borda".

Mari Luixa Erdozio (1846-1925)

La plus ancienne improvisatrice connue en Pays Basque nord. Née en 1846 à Ascain (Labourd), mère de treize enfants, elle était agricultrice à "Patinenia" (Ascain). Elle est décédée à Saint-Jean-de-Luz en 1925.

C’est le linguiste Julien Vinson qui révéla qu’elle était bertsulari. Elle participa à trois reprises aux Jeux Floraux d'Antoine d'Abbadie, à Sare : en 1869 (gagnante ex-aequo avec D'Ibarrart), en 1875 (gagnante ex-aequo avec Etcheto) et en 1884 (troisième).

Lorsqu'en 1875 elle versifia avec Etcheto sur le sujet "les adieux d'un jeune mobilisé (Etcheto) à sa fiancée (M.-L. Erdocio)", Madame De Chambrun étant dans l'assistance lui remit un prix, preuve que sa prestation fut particulièrement bonne.

En 2021, la municipalité d’Ascain l’a mise en lumière grâce au travail mené avec un groupe de villageois dans le cadre de l’exposition organisée par l’association Les Bask’Elles.

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Mariana Hargain Etxepare (1860-1925)

Mariana ou Mari Hargain, native d'Espelette, improvisait spontanément et écrivait des bertsus. Agricultrice et fabricante d'espadrilles, elle vécut à Cambo, à "Hegontoinia". Mariée en 1891, elle eut un fils. Elle décéda en 1925 à Saint-Palais.

Elle parut pour la première fois publiquement à Cambo avec D'Ibarrart, Laztiri et Soule. Mais sa partenaire bertsulari fut surtout Mariana Etchegaray "Aña debrua". Les deux femmes rencontraient un franc succès et étaient beaucoup sollicitées.

Elle gagna aux jeux floraux d'A. d'Abbadie en 1888 à Cambo. Elle prit part aux "Fêtes Basques" de M. Guilbeau : en 1894 à Hasparren (4ème), en 1895 à  Espelette (première) et en 1896 à Cambo (3ème), mais aussi au concours organisé par Euskaltzaleen Biltzarra en 1907 à Cambo (3ème). Outre ces concours, elle chantait beaucoup dans les rassemblements familiaux (mariage, baptême, communion).

Mariana Etchegaray Baraziart "Aña debrua" (1873-1939)

Mariana Etchegaray (1873-1939)
Mariana Etchegaray (1873-1939)
Mariana Etchegaray, surnommée "Aña debrua", naquit en 1873 à Mendionde. Elle épousa Joanes Inzabi d'Hasparren. Le couple s'installa à Hasparren, au quartier Hasquette puis Peña. Mère de six enfants, elle était ouvrière dans la chaussure et tenancière de bar-restaurant. Elle mourut en 1939.

L'improvisatrice gagna le concours des "Fêtes Basques" de M. Guilbeau à Hasparren en 1894 et fut classée troisième en 1896 à Cambo. Elle écrivit également des bertsus, notamment Oraiko dama gaztiak.

Il est à souligner qu'"Aña debrua", comme Mari Hargain, improvisa beaucoup dans les rassemblements familiaux festifs.

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Itxaro Borda (1959-...)

Itxaro Borda (EKE - Maia Etchandy)
Itxaro Borda (EKE - Maia Etchandy)
Vingt ans après la mort de "Aña debrua", naquit à Bayonne Bernadeta Borda Charriton, que nous connaissons sous le nom d'Itxaro Borda, écrivain, poète et auteur de chants. 

Elle commença à improviser dans les joutes, comme en 1978 en compagnie de Joanes Arrossagarai et Jean-Louis Hariñordoki (dont c'était la première prestation).
Mais vite, elle se mit à l'écriture. Elle est l'auteur de nombreux bertsus et livres.

 

Une ère nouvelle

Avec le souci prédominant de la transmission, les années 1980 apportèrent de nombreux changements avec notamment  la création d'écoles de bertsus et la structuration organisationnelle du bertsularisme. La présence et la place de la femme se développèrent. Elles étaient bertsularis mais aussi meneurs de joutes, juges. Dans trois provinces, la présidence de l'association des bertsozale est occupée par une femme : Alaitz Rekondo en Navarre,  Saroi Jauregi en Gipuzkoa et Joana Itzaina en Iparralde.

Si elles sont majoritaires dans les écoles de bertsus, cette proportion ne se retrouve pas lors des joutes. Pour beaucoup d'entre elles, le pas pour monter sur scène est encore difficile à franchir.

La championne Maialen Lujanbio, Andoni Egaña au Championnat de bertsularis du Pays Basque, 2009 (EKE - Maite Deliart)
La championne Maialen Lujanbio, Andoni Egaña au Championnat de bertsularis du Pays Basque, 2009 (EKE - Maite Deliart)
Parmi celles qui furent des pionnières en la matière, citons Arantzazu Loidi, Eztitxu Arozena, et en particulier Maialen Lujanbio qui dès 1997 marqua l'histoire en étant la première finaliste femme au Championnat du Pays Basque. Bien qu'elle fut alors classée huitième, ce fut un grand progrès porté à son apogée douze ans plus tard, en 2009 : elle remporta le championnat du Pays Basque !

Mais comme Maialen Lujanbio l'avoue elle-même : "Kosta egiten da emakumeen lorpenak aitortzea, eta txapela irabaztea, sinbolikoki, pauso bat da" ("cela coûte d'avouer les résultats obtenues par les femmes, et gagner la txapela c'est symboliquement un pas de marqué").