Enregistrements de prisonniers Basques en Allemagne (guerre de 1914-1918)

Entre 1915 et 1918, la Commission phonographique prussienne a enregistré dans les camps allemands des prisonniers de guerre issus du monde entier. Parmi eux, dix Basques. Le Musée Ethnologique et l'Université Humboldt de Berlin, propriétaires des archives, ont déposé la copie numérique des enregistrements basques à l'Institut culturel basque en 2014, 2016 et 2018.

Enregistrement d'un prisonnier de guerre par la Commission phonographique prussienne. A droite, Wilhelm Doegen. © Lautarchiv - Humboldt-Universität zu Berlin
Enregistrement d'un prisonnier de guerre par la Commission phonographique prussienne. A droite, Wilhelm Doegen. © Lautarchiv - Humboldt-Universität zu Berlin

1915. Le phonographe, inventé en 1877 par Thomas Edison, ainsi que le gramophone (1887), en sont à leurs débuts. Ces techniques modernes seront pour la première fois utilisées dans un contexte de guerre, dans les camps de prisonniers en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale.

Commission phonographique prussienne

Le linguiste allemand Wilhelm Doegen (1877-1967) travaille à Berlin en faveur de l’utilisation de l’écriture phonétique dans les ouvrages scolaires et de l’emploi de disques sonores pour l’enseignement des langues.

Le 24 février 1914, il soumet au Ministère de la culture prussien le projet de fondation d’une collection d’archives sonores de "tous les peuples de la terre". C’est sur cette initiative que la Commission phonographique royale prussienne est créée le 27 octobre 1915.

Près de 40 scientifiques allemands de renom sont impliqués dans le projet présidé par le chercheur en musique et psychologue Carl Stumpf, fondateur du Phonogramm-Archiv de Berlin. Le musicologue Georg Schünemann (1884-1945) en fait partie ainsi que le romaniste basquisant Hermann Urtel (1873-1926).

La commission s’est donné pour but "… de graver sur des disques sonores les voix de toutes les diverses tribus résidant dans des camps de prisonniers allemands et de les mettre en rapport avec les textes correspondants."

Entre fin 1915 et fin 1918, 29 camps de prisonniers allemands parmi les 175 existants, sont visités par des linguistes, des musicologues et des anthropologues.

La collecte

La Commission phonographique prussienne produit des enregistrements sonores sur deux types de support :

  • 1022 rouleaux de cire Edison, archivés depuis 1991 au Musée Ethnologique de Berlin ;
  • 1650 disques grammophoniques enregistrés sous la direction de Wilhelm Doegen, archivés à l’Université Humboldt de Berlin. 

Il est prévu, à l’horizon 2020, de rassembler les deux fonds dans un même lieu, au centre culturel Humboldt Forum. 

La voix d'une dizaine de prisonniers basques

36 des 1022 rouleaux de cire détenus par le Musée ethnologique de Berlin contiennent des enregistrements de chants basques collectés par Georg Schünemann eta Carl Stumpf, auprès des labourdins Antoine et Jean-Baptiste Suhas, des souletins Joseph Jaureguiber et Pierre Ascarateil.

L'euskara figure également parmi les nombreuses langues enregistrées sur les disques grammophoniques archivés à l'Université Humboldt. Dans les archives reçues  en 2014 et 2016, on y retrouve les voix de 10 prisonniers basques collectés et transcrites par le linguiste romaniste Hermann Urtel :

  • 5 labourdins : les frères Antoine et Jean-Baptiste Suhas d'Arcangues, Laurent Issuribehere de Larressore, Pierre Labadie de Hasparren et Jean-Baptiste Mendiburu de Saint-Jean-de-Luz ;
  • 2 bas-navarrais : Jean Noël Irigoyen d'Ainhice-Mongelos et Pierre Mendiburu d'Armendarits ;
  • 3 souletins : Joseph Jaureguiber de Larrau, Pierre Ascarateil d'Alçay et Saint-Jean Bidégaray de Garindein.

Numérisation, restitution et valorisation

En 1992, le projet de sauvegarde des documents sonores les plus anciens de la musique traditionnelle, consacré aux cylindres de cire menacés de désintégration, débute.

Entre 2012 et 2015, le précieux fonds du Musée ethnologique auquel l’Unesco donne le statut de "Mémoire du monde", est numérisé et répertorié dans son ensemble.

En 2014, année du Centenaire de la Grande Guerre, l’Institut culturel basque reçoit la copie numérique des enregistrements sonores de prisonniers basques.

Trésor oral à plusieurs titres, outre leur caractère exceptionnel et leur intérêt notamment du point de vue historique, linguistique et ethmusicologique, ces archives sont marquées par le contexte historique tragique du conflit mondial et la captivité que subissent ceux qui ont été enregistrés. D’où la nomination d’"objet sensible" qui leur est conférée.

Concrétisant l’objectif des institutions propriétaires des fonds, les coréens ont publié en 2014 leurs archives sonores accompagnées d’un document scientifique indispensable à leur contextualisation.

Dans cette optique, en lien avec l’anthropologue basque Lourdes Izagirre résidant en Allemagne et en partenariat avec les deux institutions de Berlin, l’Institut culturel basque s’emploie à valoriser ces enregistrements exceptionnels. 

En 2015-2016 , le partenariat entre l'ICB et l'Université de communication audiovisuelle de Mondragon-Aretxabaleta s'est concrétisé par l'étude qu'ont mené sur ce fonds les étudiantes Elena Canas et Ainara Menoyo en vue de l'obtention de leur diplôme (grade de Bachelor). A partir d'extraits originaux sonores et d'interview d'une vingtaine d'acteurs culturels contemporains, elles ont réalisé le documentaire Maitia nun zira? afin de faire connaître ces précieuses archives au plus grand nombre et d'évoquer un pan méconnu de l'Histoire, documentaire pour lequel leur a été décerné le Prix Création Vidéo Documentaire Eusko Ikaskuntza-Société d'études basques - Ville de Bayonne 2016.

 

La version originale en basque est ici sous-titrée en français. Elle existe avec les sous-titrages en anglais et en espagnol. Voir également le site de Kabara Filmak dédié à Maitia nun zira?.

En 2017, la valorisation linguistique a débuté. L'ICB a présenté le projet au centre de recherche sur la langue et les textes basques IKER (UMR 5478) et à Euskaltzaindia, l'Académie de la langue basque. Jasone Salaberria, docteure en Études basques, a réalisé les transcriptions orthographiques et phonétiques d'une partie des archives de l'Université Humboldt (25 narrations, 2 chants et 8 chants récités).

En 2018, dans le cadre de la mise en œuvre du programme de stratégie numérique (2018-2020) de l'ICB, la valorisation numérique des enregistrements basque avec leur inventaire a été réalisée sur le portail de la mémoire orale www.mintzoak.eus. Le dossier multimédia présente la collecte basque de la Commission phonographique, chacun des Basques étant mis en lumière à travers sa biographie, les enregistrements et transcriptions liés.

En 2019 et 2020, l’étude musicologique (transcription des chants - musique et paroles - en partitions numériques) a été réalisée par le musicologue Agustin Mendizabal avec la caution scientifique de Jon Bagües, ethnomusicologue et directeur de 2000 à 2020 d’Eresbil, centre d’archives musicales basques. Il s'agit d'une action menée dans le cadre du label Ethnopôle basque, toujours en préalable à la recherche. 

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